Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage..
Ces derniers mois ont une coloration particulière dans l'engagement que nous devons à nos enfants et à nos élèves. Nul besoin ni l'envie de préciser les raisons de ces "vacilllements" auxquels nous sommes confrontés chaque jour. Comment tisser du lien à l'heure de la construction européenne? Comment donner le goût de l'autre et de la rencontre en temps de crise sanitaire et identitaire?
Il nous a donc paru certes audacieux, mais nécessaire et prometteur de maintenir le voyage en Pologne durant la deuxième semaine des vacances scolaires.
C'est donc avec une trentaine de lycéens, nostalgiques de leurs années passées à Saint-Julien, et une poignée de troisième que quatre accompagnateurs ont persévéré dans leur quête d'une Cracovie à découvrir. Persévérer en prenant bien évidemment toutes les mesures nécessaires pour que cette persévérance ne soit ni la victime ni l'allié de la crise sanitaire.
Nous tenons par ailleurs à remercier chaleureusement la confiance des parents ainsi que le soutien de la direction qui à eux seuls ont permis ce voyage. Insuffisant? Certes! Ce sont surtout ces trente élèves enthousiasmés, enthousiasmants, pertinents, à l'humour caustique, aux bonnes manières et aux pensées vagabondes qui ont donné à notre périple son caractère exceptionnel. Chaque accompagnateur s'est senti très fier d'être félicité par chacune de nos guides pour le sérieux, l'attitude et la qualités des questions de nos futurs adultes.
Rappelons que la Pologne, dans sa position stratégique au coeur de l'Europe Centrale a longtemps été l'échiquier du jeu militaire et diplomatique entre les grandes puissances environnantes. Le pays s'est longtemps laissé posséder mais son architecture s'est laissée traverser pour que nos élèves puissent découvrir aujourd'hui les heureux brassages entre style gothique, Renaissance et autrichien. Entre autres.
C'est au bord de la Vistule que nous avons d'abord visité l'emblématique château de Wawel, sa crypte royale qui fait office de Panthéon national. Nos futurs étudiants se sont aussi laissés séduire par les attraits de l'Université de Jagellone, une des plus anciennes universités européennes. Le Collegium Maius peut aussi s'enorgueillir d'avoir accueilli des figures telles que Copernic ou Jean-Paul II.
De cette Cracovie médiévale nous avons surtout retenu la splendeur de la basilique Notre-Dame, les légendes que recouvre la construction de ces deux tours massives et asymétriques et l'incontournable Hejnal? Cette mélodie en trompette est une véritable institution et se joue toutes les heures de la plus haute tour. Nous voici à la Halle aux Draps, la Grande Place du Marché, ses commerces couverts qui hébergent depuis plus de mille ans une activité commerciale réputée dans toute l'Europe. Grâce au musée souterrain récemment inauguré, l'expérience peu commune du Rynek a été très appréciée par les élèves, curieux de découvrir la ville par ses vestiges archéologiques mis en valeur par les dernières innovations de la scénographie muséale.
Mais comment ne pas s'arrêter puis méditer sur les traces d'une tragédie plus récente, stigmates qu'on ne peut s'empêcher de mettre en perspective au regard du climat ambiant : en visitant les camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau chacun s'est essayé à comprendre, à expliquer, à nommer et à faire l'expérience des dérives qui mènent inexorablement à l'annihilation de l'individu, au déni d'humanité.
Qu'avons-nous fait pour préparer nos élèves à cette terrible mécanique du pire au nom de la "Solution finale"? Nous aurions pu imposer une relecture d'Hannah Arendt aux élèves. La lecture d' "Une Vie" (Simone Veil) ainsi que la sortie à Paris (dimanche 4 octobre) ont constitué une réponse qu'il nous a semblé indispensable de proposer aux futurs voyageurs. Ainsi, élèves (volontaires) et parents ont eu l'occasion de visiter le Mémorial de la Shoah, de décrypter la logique concentrationnaire, d'arpenter les enjeux des camps d'extermination, ses justifications idéologiques et sa structure administrative effroyablement efficace. Nous nous étions ensuite rendus au Musée des Arts et de l'histoire du Judaïsme pour se voir proposer une visite du quartier Juif historique : le Marais. Que de vestiges à voir sous un oeil neuf!
Dans une démarche mémorielle et pédagogique, Auschwitz-Birkenau a été pour les élèves l'occasion de faire Histoire, de voir les lieux, de s'imprégner de cet espace désormais vide, désincarné, où l'herbe pousse à nouveau. Chaque guide a su trouver les mots, sans fatalisme ni cynisme, pour que nos adolescents envisagent les destins individuels, le quotidien dans ces baraques aux conditions de vie inhumaines et puissent pour autant articuler une chronologie complexe et ses enjeux transnationaux et diplomatiques.
Cracovie, ville cosmopolite, ancienne capitale de la Pologne et carrefour commercial, a longtemps abrité une solide bourgeoisie intellectuelle juive. Nous avons donc visité Kazimierz, la quartier Juif historique de la ville, ses rues, ses restaurants, sa synagogue ainsi que son cimetière.
Nous devons le reconnaître, la visite qui a le plus réjoui nos élèves est de loin la plus insolite : les mines de sel de Wieliczka.
Pour nous rappeler la ferveur religieuse du peuple polonais, les mineurs apprentis sculpteurs ont eu l'heureuse idée de creuser une cathédrale souterraine à 150 mètres de profondeur. Statues de sel, cristaux de sel, volonté de fer chez ces travailleurs qui n'ont jamais perdu la foi malgré les accidents et la domination communiste. Splendeur! Les mineurs convoquent Goethe, Copernic et Jean-Paul II dans ce qui a fait la richesse du pays. Il fût un temps pas si lointain où un kilo de sel valait un kilo d'or.
Avec vous, donner au " sel de terre", nos élèves, l'envie de voyager, de découvrir de nouvelles cultures (y compris culinaires !), de nouvelles façons d'être ensemble, continuer malgré tout à "tendre vers" en renonçant aux pièges de certitudes confortables mais mortifères : tel était, aussi, notre objectif.
Toujours est-il que ce voyage fut particulier et marquant pour chacun de ses participants, uniquement pour de bonnes raisons.
Emmanuelle Clérot